12 juin 2025 - 03:00
Vécu et réalités : paroles d’agricultrices
Dossier fort pertinent que celui des femmes en agriculture au Québec. Raison suffisante pour interroger quelques actrices du milieu et ainsi souligner notre premier numéro entièrement dédié à l’agriculture au féminin dans la région. Lors de cette prise d’échantillons, certes non exhaustive, quatre questions ont été posées à autant d’agricultrices, question de connaître leur ressenti, leur vision.

Q1 – Comment définiriez-vous votre parcours en tant qu’agricultrice? Facile (comment) ou difficile (pourquoi)?

Q2 – Depuis quelques mois, on parle davantage du besoin pour les agricultrices, propriétaires ou non, de bien se protéger légalement et financièrement de manière officielle, c’est-à-dire devant avocat ou notaire. On parle aussi de pouvoir calculer les heures de travail « invisibles » pourtant bien réelles. Votre opinion?

Q3 – Bien que plusieurs incitatifs et programmes existent pour soutenir les agricultrices, selon vous, quelles mesures devraient être instaureés ou bonifiées pour faciliter le transfert ou le démarrage d’entreprise à propriété féminine?

Q4 – Votre message aux jeunes femmes de la relève, dont le contexte actuel rend l’accès à la terre très difficile?

Sandryne Pellerin du domaine Nos Racines, à Saint-Hugues.

Photo : gracieuseté.

Q1 – Assez difficile, je dirais. Démarrer cette entreprise de maraîchage bio a été un saut dans le vide pour mon conjoint et moi, car nous ne venons pas du milieu agricole et n’incarnons pas la relève d’une entreprise existante. Difficile, car l’accès à la terre est ardu et les programmes d’aide ne sont pas vraiment orientés vers le maraîcher de plus petite surface. Nous avons dû faire preuve de grande détermination. Tout a débuté par un petit lopin de terre en location, auquel se sont joints deux autres associés. Je n’étais pas actionnaire de ce projet à ce moment, mais conjointe d’agriculteur et travailleuse. La présence d’associés a facilité l’accès à la terre. Plus tard, l’entreprise a été dissoute et les terres mises en vente. C’est à ce moment que nous nous sommes tournés vers la location, vu l’impossibilité d’acheter et l’absence d’aide adéquate. Nous avons tout de même gagné une bourse, qui nous a permis d’implanter notre chambre froide et de conserver de plus gros volumes. Mais, dans l’ensemble, ce fut comme une virée en montagnes russes.

Q2 – Le travail des conjointes d’agriculteurs, à la terre et à la maison, fait souvent une grande différence. J’ai réalisé plus tard, lors de ma nomination au Gala Reconnaissance, que je me voyais encore comme « conjointe d’agriculteur », alors que j’étais devenue depuis propriétaire unique de l’entreprise. Ce travail, dit invisible, est nécessaire au succès d’une entreprise et peut être plus lourd qu’on le croit. Nous avons cinq enfants. Cela donne une idée de l’ampleur de la gestion exigée. Tout ce travail doit être évalué et reconnu sur papier. Le volet légal est de première importance.

Q3 – Notre projet maraîcher à plus petite échelle ne cadrait pas avec les exigences des instances financières. À ce niveau, il y a certainement des choses à changer. Et, pour compléter la réponse à la deuxième question, une agricultrice bien protégée légalement pourra certainement obtenir un meilleur accès aux différents programmes, son travail étant reconnu officiellement.

Q4 – Le parcours de notre entreprise se terminera en 2025, après presque 10 années d’activité. Ou du moins en pause indéfinie. Mon parcours a été tellement en mode accéléré que je désire maintenant prendre davantage de temps pour les enfants. Mon message serait de tout faire pour éviter la surcharge de travail, qui vient trop souvent écraser la passion, et de savoir bien s’entourer.

Carole Lussier de la Ferme Luco, à Saint-Dominique

Photo : gracieuseté.

Q1 – Pas exactement l’un ni l’autre. Je dirais que c’est un parcours riche et rempli de défis, qui demande de la détermination et qui fait une belle place à l’apprentissage. En 2021, j’ai quitté un emploi que j’aimais à La Financière agricole du Québec, à Saint-Hyacinthe, pour travailler avec mes parents sur la ferme, mon père devant subir une chirurgie importante. Ce n’était pas prévu, et ce ne fut pas un choix simple et facile. Je ne regrette pas aujourd’hui d’avoir fait ce choix pour l’entreprise familiale. J’ai amené mes idées de projets et fait évoluer l’entreprise depuis. En plus d’être mère de deux enfants, j’agis en tant que gestionnaire, planificatrice et productrice. C’est une grosse charge, mais c’est ce qui me garde vivante.

Q2 – C’est une réalité qui touche l’ensemble des agricultrices au quotidien. En tant que femme, chaque jour, on porte souvent plusieurs chapeaux. Pourtant, nos journées ne comptent que 24 heures, comme pour tout le monde. Tout ce qui est accompli n’apparaît pas nécessairement dans les bilans financiers de l’entreprise… Sans cet apport invisible, la réalité des familles et des entreprises agricoles serait bien différente. Il faut se protéger, valoriser notre travail et s’assurer que tout le monde y trouve son compte. Prenez le temps de faire l’exercice avec le compteur officiel des heures invisibles, ça vaut vraiment la peine. Ça peut changer la vision des choses.

Q3 – Je ne pourrais pas vous dire quelle modification précise pourrait être apportée à ce qui existe actuellement. Je crois que l’on doit continuer d’encourager les gestionnaires et les intervenants de ces programmes à s’impliquer et à offrir les outils nécessaires, adaptés, aux différents contextes. En m’entourant des bonnes personnes, j’ai bénéficié d’un accompagnement personnalisé. J’ai aussi suivi des formations adaptées. C’est tout cela mis ensemble qui m’a grandement aidée à avancer. Le mentorat féminin n’est pas à négliger. Certains services déjà offerts sont très intéressants et peuvent aider à toutes les étapes.

Q4 – Foncez, faites-vous confiance, croyez en vos projets. Chaque jour est une opportunité d’avancer et vous êtes souvent à une décision près de changer votre futur. Si l’on m’avait dit il y a 15 ans que je serais où je suis aujourd’hui, à faire grandir notre entreprise familiale avec mes parents et mon frère en bâtissant d’aussi beaux projets, je ne l’aurais probablement pas cru. Tout est possible. Il ne s’agit pas d’être parfaite, mais plutôt d’oser, apprendre et être en mode de recherche de solution.

Mélanie Massicotte de Fleurs et Feuilles Gourmandes, à Saint-Alexandre

Photo : gracieuseté.

Q1 – Assez difficile. J’ai suivi ma formation GTEA à l’ITAQ alors que je venais de tomber enceinte. Lorsque j’ai démarré mon entreprise en 2018, j’ai rapidement constaté qu’il n’existait pas vraiment de ressources pour mon secteur d’activité choisi, soit celui des fleurs comestibles. J’ai donc dû tout monter de zéro. Si je ne rejoins pas mes clients de façon très régulière, principalement les restaurants, je risque de perdre des commandes. Je dois demeurer active au niveau des relations d’affaires. La plus grande difficulté rencontrée demeure la pandémie. Quelques semaines auparavant, j’avais investi 70 000 $ dans un agrandissement visant à cultiver davantage de variétés, à la demande des restaurants, qui ont ensuite fermé pour plusieurs mois. Quand, soudainement, on se met à livrer des mets dans des boîtes de carton, on a pas plus vraiment besoin de fleurs pour enjoliver le tout.

Q2 – Partir de zéro a été assez difficile, mais le fait d’être propriétaire unique a vraiment simplifié les choses quand est venu le temps de la séparation d’avec mon conjoint. C’était fantastique! Pour celles qui sont en mode copropriétaire ou conjointe d’agriculteur, il est important que leur travail et les heures dites invisibles soient reconnus officiellement, légalement. Les mentalités ont beau avoir évolué, certaines tâches restent encore automatiquement assignées aux femmes. Et cela représente une charge supplémentaire. J’ai eu la chance d’avoir un père avocat, qui m’a bien préparée aux réalités de la vie.

Q3 – Je n’ai eu qu’un accès très limité à ces programmes. Le fait d’être mère de deux jeunes enfants m’a tout de suite écartée des critères assignés aux agricultrices à temps plein. Assez spécial comme explication. C’est très restrictif. Toute une arnaque. Je sais qu’un dossier se monte actuellement contre une institution dans ma région. Plusieurs demandent à transférer leur dossier à Saint-Hyacinthe. De la même manière, dans différentes écoles de formation, on fait miroiter aux élèves des possibilités de financement faramineuses, mais la réalité est tout autre. Malgré toutes ces embûches, j’ai la chance d’avoir un métier qui me passionne et une entreprise qui roule bien.

Q4 – Soyez préparées, faites vos devoirs. Ne vivez pas dans une bulle, même si vos parents possèdent une entreprise qui roule bien. Faites attention aux conférenciers et formateurs qui proposent des concepts douteux, trop faciles pour être réels. Entourez-vous de bonnes personnes.

Marie-Ève Langlois Bilodeau, de la Ferme Teasdale et Fils, à Saint-Mathieu-de-Beloeil

Photo : gracieuseté.

Q1 – C’est le parcours du combattant. Surtout en tant que conjointe d’agriculteur et mère de trois enfants. Faire sa place dans un monde où tu n’es pas toujours perçue à ta juste valeur, c’est difficile. Lorsque j’ai réalisé que je pouvais me présenter comme « agricultrice », tant au champ qu’à la maison, ç’a été très bénéfique. Le tracteur que je conduis, les animaux que je soigne, les repas que je prépare, ça fait partie d’un tout. S’affirmer ainsi est l’une des plus belles choses qui soient arrivées au cours des dernières années.

Q2 – Je suis en faveur de se protéger à 1000 %, bien que je sois l’une de celles qui ne l’ont pas fait! (rires) Après 23 années passées en couple, j’ai dû créer de petites entreprises autour des activités de la ferme afin de me créer un revenu, jamais suffisant toutefois pour créer de l’épargne. Il faut que l’ensemble des actions posées par les conjointes d’agriculteur soient reconnues légalement, et ce, avant qu’une situation ne survienne. Après, il est trop tard. Les femmes doivent toujours recevoir une compensation pour ce travail pour leur permettre de repartir du bon pied. Pour ce qui est des heures invisibles, j’ai fait le test. C’est très intéressant. Je vais proposer à mon conjoint de le passer aussi, question de découvrir son point de vue sur les heures invisibles qu’il croit aussi effectuer.

Q3 – Il y a parfois d’importantes différences entre ce qui est publicisé et la réalité dans un bureau. Je me souviens que lorsque le temps est venu pour mon beau-père de vendre du quota, c’était plus avantageux de le faire à un étranger qu’à son propre fils. La loi a été changée depuis, mais on a connu ce genre de situation. Si c’est difficile pour un homme, imaginez ce que ce devait être pour une femme! Encore aujourd’hui, certains représentants passent à la ferme et cherchent l’homme. La plupart des hommes veulent encore passer la terre à leur fils. Ici, ce sera plus difficile, car nous avons trois filles. Si une ou plusieurs d’entre elles veulent reprendre l’entreprise, nous ferons tout pour que ça se concrétise. Ça deviendra Ferme Teasdale et Filles!

Q4 – Le message est clair et simple : suivez une formation reconnue, entourez-vous des bonnes personnes, établissez-vous de nombreux contacts et parlez de votre rêve au plus grand nombre.

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