18 septembre 2025 - 03:00
Transformation alimentaire
Les enjeux de main-d’œuvre dans une industrie en pleine évolution
Par : Yves Rivard
Jacqueline Pelletier, directrice générale du CSMOTA. Photo : gracieuseté

Jacqueline Pelletier, directrice générale du CSMOTA. Photo : gracieuseté

Le Comité sectoriel de main-d’œuvre en transformation alimentaire (CSMOTA) est un organisme de concertation qui définit et met en œuvre des stratégies répondant aux besoins de l’industrie de la transformation alimentaire en matière de promotion, de formation et de gestion des ressources humaines. Partenaire des entreprises en transformation alimentaire sur l’ensemble du territoire québécois, le CSMOTA réalise des initiatives qui créent de la valeur et qui sont des leviers pour le développement de la main-d’œuvre de l’industrie. Jacqueline Pelletier, qui en est la directrice générale, répond à nos questions et annonce un nouveau diagnostic sectoriel de main-d’œuvre de l’industrie de la transformation alimentaire à paraître sous peu.

GTA : Le dossier de la francisation en entreprise semble être au cœur de vos nombreuses interventions. À quoi ressemble le portrait actuel? De nouvelles initiatives sont-elles à prévoir?

Jacqueline Pelletier : Depuis plus de cinq ans, nous offrons la francisation afin de répondre à la demande de l’industrie de la transformation alimentaire. En 2024-2025, 1137 participants ont été formés dans le secteur. Plusieurs partenaires œuvrent conjointement avec le CSMOTA pour la diffusion en présentiel et en virtuel. Les formations couvrent les niveaux de 1 à 7. Actuellement, on sent la pression de la part des transformateurs qui doivent veiller à ce que les employés visés atteignent le niveau 4 d’ici 2028, en accord avec les normes ministérielles. Notre subvention est très appréciée, notamment pour sa flexibilité en matière de nombres d’heures, jugé très satisfaisant, et facile d’accès.

GTA : Quel est le diagnostic sectoriel actuel de la main-d’œuvre au Québec, plus particulièrement par créneau et/ou région?

J.P. : Le prochain diagnostic sera présenté par secteurs d’activité et par région administrative. C’est un outil qui fournit des informations importantes sur l’emploi dans le milieu de la transformation alimentaire, tout en proposant des recommandations qui nourriront les réflexions visant l’organisation des actions pour les trois prochaines années. Lorsqu’on étudie les enjeux actuels et anticipés en regard avec la gestion des RH du secteur, on note plusieurs contextes importants : les départs à la retraite massifs, les enjeux de transferts de connaissances aux plus jeunes employés, le perfectionnement en situation de travail et une baisse du nombre d’inscriptions aux programmes d’études. Ce qui se traduit par une pression à la hausse sur l’industrie qui nécessite ces compétences dans leurs usines. En 2024, le secteur de la transformation dénombrait environ 10 400 travailleurs étrangers temporaires. Dans le contexte où le gouvernement fédéral limite leur embauche à 20 % des effectifs dans un milieu de travail, plusieurs entreprises tentent de hausser le niveau de francisation de leurs employés afin de leur permettre d’obtenir un autre statut, celui de la résidence permanente, ou doivent se résigner à laisser partir des employés. Sinon, les employeurs doivent tenter de recruter de la nouvelle main-d’œuvre.

GTA : Observe-t-on des tendances?

J.P. : Nous analysons actuellement les nouvelles données. À prime abord, on note des demandes d’employeurs qui prévoient des besoins importants dans certains postes à court et moyen termes, plus précisément en matière de contrôle de la qualité. Le CSMOTA travaille de manière proactive dans l’élaboration d’activités visant à promouvoir les divers programmes tant au collégial qu’au niveau universitaire, en collaboration avec ces établissements. L’objectif est et demeure d’assurer la relève de ressources humaines qualifiées et compétentes dans le secteur de la transformation alimentaire.

Formations actuelle et réalités futures

GTA : L’arrivée de l’intelligence artificielle et la croissance de l’automatisation de certains procédés vous force-t-elle à réfléchir, en amont, sur la restructuration que ces deux réalités exigeront en matière de ressources humaines?

J.P. : Oui. L’automatisation vient redéfinir l’organisation du travail de certaines fonctions, et vient l’enrichir. Je m’explique. Les électromécaniciens, qui ont à travailler avec différents systèmes, différentes machines, et les opérateurs voient leurs activités être bonifiées par cette nouvelle réalité. Par exemple, un travailleur autrefois employé sur une chaîne de production au contrôle de la qualité pour ses seules capacités visuelles voit son travail passer dorénavant par une interface tactile, qui permet de consulter la conformité du produit selon divers paramètres. La fonction s’en trouve enrichie. Donc, dans ces cas-là, il n’y a pas de perte d’emploi.

GTA : Où en est-on avec l’appel de projets Formation pour la résilience et la compétitivité en emploi (FORCE), qui pourrait certainement changer la donne pour plusieurs employeurs?

J.P. : Les composantes d’appel de ce projet, proposé par le Ministère de l’emploi et de la Solidarité sociale du Québec au printemps dernier en réaction aux menaces d’imposition de tarifs douaniers américains, a été étudié par le CSMOTA. Nous avons réfléchi à des projets susceptibles de soutenir les gestionnaires et les superviseurs dans un tel contexte et de développer les compétences des électromécaniniens et des opérateurs. Au final, décision a été prise de déposer ces projets dans un autre appel à projets, soit Impulsion-Compétences, qui vise l’amélioration de la productivité des entreprises et celle de l’employabilité de la main-d’œuvre par le développement des compétences et la requalification.

Nouveaux chiffres, nouvelle donne?

GTA : À quelle fréquence les différents indicateurs RH du CSMOTA sont-ils actualisés? Les plus récents datent de 2022, moment charnière pour plusieurs entreprises et travailleurs, pandémie oblige. Le portrait général ne risque-t-il pas d’être différent et de nécessiter davantage d’interventions plus ciblées?

J.P. : Effectivement, depuis la pandémie, le portrait de l’industrie a changé. Si l’on s’attend à ce que les indicateurs RH en matière de taux de roulement, de taux de rétention et d’absentéisme demeurent assez similaires, le taux de chômage, notamment chez les jeunes, inquiète. Le CSMOTA est impliqué dans des initiatives visant à rapprocher les clientèles éloignées du marché du travail à notre industrie. Nous misons sur la diversité des postes disponibles, la contribution à un secteur essentiel, la stabilité d’emploi, etc. Étonnament, plusieurs jeunes détiennent un diplôme, mais semblent incapables de se trouver un travail.

GTA : Ils veulent travailler, mais selon leurs conditions…

J.P. : C’est une affirmation qui s’applique pour certains candidats disponibles pour l’emploi. La difficulté des jeunes à trouver un emploi soulève diverses hypothèses, dont la question d’adéquation entre la formation académiques et les besoins de main-d’œuvre des entreprises. Cela dit, le nouveau diagnostic nous dévoilera certainement des informations qui nous permettront d’agir sur ces enjeux en collaboration avec des partenaires.

GTA : L’année 2026 verra la tenue de la 20e édition de votre colloque annuel. Peut-on s’attendre à des dévoilements spéciaux, à des événements particuliers?

J.P. : Oui. De plus, l’année 2026 marquera notre 25e anniversaire de fondation. Si nous en profiterons pour souligner nos réalisations, l’événement sera également l’occasion de remercier nos différents partenaires de concertation dans notre mission, dont les trois objectifs sont et demeurent de soutenir la fonction RH de l’industrie de la transformation alimentaire, de promouvoir des formations pour répondre aux besoins en compétences de la main-d’œuvre, et de mettre en œuvre des stratégies de développement des RH pour l’industrie.

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