GTA : Débutons par l’entente de principe pour la Convention de mise en marché 2025 et 2026. Quels éléments convient-il de souligner?
Joël Vaudeville : Les PPAQ sont tout d’abord très heureux d’avoir une entente négociée avec le Conseil de l’industrie de l’érable (CIE). Cette entente est de deux ans en ce qui concerne le prix du sirop d’érable, et de trois ans pour le normatif, ce qui constitue une première, le normatif étant habituellement arrimé à la période de fixation du prix. On parle ainsi d’une hausse de prix de l’ordre de 2,6 % pour le sirop régulier en 2025, une hausse ramenée sur la production 2024 qui touche toutes les catégories de sirop. Pour 2026, la hausse se chiffre à 1,5 %. On parle donc d’une hausse de 4,1 % sur deux ans pour le sirop régulier. Cela dit, face au déséquilibre recensé pour le sirop biologique, l’offre pour ce produit étant supérieure à la demande depuis quelques années, on note une baisse de la prime bio, celle-ci passant de 0,22 $/livre à 0,18 $/livre. En 2022, on parlait d’un paiement de prime bio avoisinant les 83 %, alors qu’en 2024, il est question de projections se situant sous la barre des 70 %. À l’heure actuelle, la réserve stratégique contient environ 80 % de sirop bio. Il se vend donc moins bien que le sirop régulier.
GTA : Comment expliquer cette baisse?
J.V. : À une tendance de marché liée à l’inflation observée dans le secteur de l’alimentation. Les consommateurs se sont probablement tournés vers le sirop régulier pour cause de coût inférieur. Cela dit, les données indiquent que pour 2024, l’offre se positionne à 161 % pour le sirop bio, donc 61 % en excédent. Pour revenir à la première question, il importe de préciser que le CIE augmentera son prélevé pour financer le fonds de classement, déficitaire depuis quelques années. Le prélevé de 0,0075 $/livre pour le classement est augmenté à 0,0125 $/livre pour les membres du CIE afin d’être à parité avec celui des PPAQ. À noter : la période de classement sera prolongée du 30 octobre au 30 novembre, selon certaines conditions.
GTA : En novembre 2024, les PPAQ ont rejeté la proposition préliminaire de cibles de superficies acéricoles annoncée par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF). Où en est-on quatre mois plus tard?
J.V. : Vous avez sûrement vu notre canne de sirop spéciale envoyée à la CAQ pour dénoncer la situation? Depuis, les négociations ont repris. Les changements survenus aux postes de sous-ministre et du conseiller politique au dossier ont été vus comme une volonté d’ouverture. Nous sommes toutefois loin de la coupe aux lèvres, et la lenteur des discussions inquiète nos membres. Nos représentations auprès du public se poursuivront, car il s’agit d’un choix collectif : coupe-t-on les forêts du Québec pour faire des pâtes et papiers ou les préserve-t-on pour enrichir notre patrimoine et donner lieu à une activité économique telle que l’acériculture, qui permet l’équité des usages? La balle est du côté gouvernemental. On parle toujours de la mise en production acéricole à court, moyen et long termes de 200 000 hectares de forêt publique, dont 25 000 hectares pour les dix prochaines années et 35 000 hectares pour les dix années suivantes. Sans nouvelle entente, on est toujours au même point : les industriels du bois continuent à couper les plus beaux érables, et c’est l’incertitude pour notre filière. Mais, notre patience a des limites. Le public doit être informé de ce qui se passe. Un érable prend de 50 à 60 ans avant d’être mature. Les décisions qui ne se prennent pas aujourd’hui auront des impacts dans le futur.
GTA : Pour 2024, l’industrie a enregistré une récolte record de 239 millions de livres de sirop d’érable. Une belle surprise après des années plus difficiles.
J.V. : Après des années en dents de scie, oui. En 2022, 211 millions de livres, en 2023, 124 millions : des résultats qui avaient affecté la réserve stratégique. Sans vouloir me livrer à des prédictions ou pronostics, au moment de cette entrevue, les grands froids ont certainement bien préparé le terrain en influant favorablement sur le taux de brix de l’eau d’érable, et le bon couvert de neige observé permet une bonne irrigation des sols. L’an dernier, tout avait débuté tôt, au début de février, et s’était terminé tard, soit en avril. Il y a eu deux saisons en une, ce qui ne devrait pas se dérouler cette année. En 2024, on recensait 52 millions d’entailles en production, une capacité de production qui devrait être un peu plus importante cette année en raison des nouvelles émissions d’entailles.
GTA : Il y a plusieurs semaines, le premier ministre du Québec, François Legault, a menacé l’administration Trump d’appliquer un tarif supplémentaire de 25 % sur le sirop d’érable. Avez-vous été consulté avant que cette possibilité soit évoquée?
J.V. : Absolument pas. Nous sommes présentement en pourparlers avec le MAPAQ pour préparer un plan advenant l’application de tels tarifs à l’exportation. Les PPAQ ont informé le ministre que l’effet de doubles tarifs serait catastrophique sur la filière acéricole. Les pronostics parlent d’une baisse de marché de 25 % pour une hausse de tarif de 25 %. Nous comprenons ce que M. Legault a tenté de faire, mais en aucun cas, nous ne souhaitons voir le sirop d’érable québécois faire les frais d’une guerre commerciale entre les deux pays.
GTA : Advenant l’instauration de tarifs douaniers en hausse à l’exportation vers les États-Unis, la diversification de vos marchés, notamment vers les pays qui en sont friands au point de le vendre à 100 $ le gallon en boutique, ne rendrait-elle pas votre production plus rentable?
J.V. : Nous travaillons sur la diversification des marchés depuis un certain temps. Nous sommes présents dans les grands marchés tels que le Japon, l’Australie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Nous étudions plusieurs autres marchés, en collaboration avec Québec, notamment pour les stocks invendus à destination des États-Unis. On ne parle pas de petites quantités, mais bien de 100 millions de livres en 2024 pour une valeur de plus de 400 M$.